LE SUPRÊME ASSAUT
(Juin-juillet 1916)
Le temps pressait pour le Haut Commandement allemand. S'il ne voulait être obligé de renoncer à Verdun, il lui fallait se hâter. Le 4 juin s'était déclenchée l'offensive russe au sud du Pripet; Une offensive italienne était imminente; Enfin, les préparatifs anglo-français -- dans la région de la Somme -- s'avançaient. Il était hors de doute que l'Armée allemande aurait à soutenir là un assaut de la plus grande violence.
Si Verdun n'était pas pris avant, il y avait bien peu de chances pour qu'il le fût jamais : on aurait assez à faire ailleurs.
Les avantages obtenus par l'attaque du 1e juin, quoique péniblement acquis, n'en avaient pas moins amélioré la base de départ d'une attaque future. De plus, si devant le Mort-Homme et la cote 304 de nouvelles tentatives avaient échoué, la ferme de Thiaumont, à 800 mètres environ au sud de Douaumont, avait été prise (9 juin).
C'était un pas de plus vers la barrière côte de Froide-Terre-Theury-Souville, au-delà de laquelle il ne restait à franchir que la côte portant le fort de Belleville et le fort Saint-Michel pour atteindre la citadelle
Le
Commandement allemand comptait bien, cette fois,
culbuter l'obstacle. Il n'avait pu atteindre la place le 15 juin, date
fixée
par le Kaiser; mais par un suprême effort, il avait le
ferme espoir que l'échéance n'aurait été que faiblement retardée. Des
corps
d'élite étaient appelés. Une artillerie formidable était réunie : 380 et
420 en
faisaient partie... On était tellement sûr du succès qu'ordre avait été
donné
d'amener de l'arrière les drapeaux des régiments, afin qu'ils pussent
être
déployés en tête des troupes pour l'entrée triomphale dans la ville.
Enfin, l'Empereur était là.
La préparation d'artillerie commença le 21
Le 22, dans l'après-midi, une opération de détail permit aux boches de progresser entre le bois de Vaux-Chapitre et celui du Chênois, et ainsi de se rapprocher de l'objectif convoité le fort de Souville.
Enfin, ce même jour, à
Estimant avoir neutralisé nos batteries, interdit
à tout
renfort ou ravitaillement l'accès de nos lignes, l'ennemi lançait son
infanterie à l'assaut, le lendemain vendredi 23 juin, à aques
du 21 février et du
Les cinq divisions que nous alignions de FroideTerre à Tavannes, de l'ouest à l'est, les 24e, 23e, 126e, 21e et 13e, reçurent le choc de dix-sept régiments.
Les Ier et IIIe Corps d'Armée bavarois marchaient sur l'ouvrage de Thiaumont, puis sur Froide-Terre, et le Corps Alpin sur Fleury ; à la 103e division d'infanterie allemande incombait la tâche de prendre Souville.
A gauche et au centre, les Bavarois et le Corps Alpin réussirent à nous faire plier. L'ouvrage de Thiaumont et l'emplacement de Fleury tombèrent entre leurs mains; mais à gauche, la 103e division d'infanterie était tenue en échec par notre 13e division.
Pendant trois jours, les 24, 25 et 26 juin,
on se
disputa âprement le terrain entre Thiaumont et le ravin des Fontaines.
L'ouvrage de Thiaumont, en particulier, fut repris, reperdu, repris le
30 juin,
à
Devant cet acharnement de nos troupes, la morgue du Commandement adverse tombait. Déjà il faisait préparer l'opinion, par la presse, à accepter la défaite: « Nous avertissons la population, de ne pas se faire d'illusions et de ne pas s'attendre à des succès de nos troupes qui anéantiraient d'un seul coup la défense de Verdun. La bravoure de l'adversaire et ses continuelles contre-attaques ne nous permettent pas d'avoir de telles espérances » .
Et de fait, ce 1e juillet même, commençait notre offensive de la Somme.
Minutieusement préparée, en mettant à profit les enseignements de la sanglante expérience de Verdun, elle nous valait, en quatre jours, une avance de quatre à cinq kilomètres sur dix de profondeur, la capture de plus de 10000 prisonniers, de 80 canons et de centaines de mitrailleuses. La menace était pressante pour le Commandement allemand.
Il ne lâchait pas prise cependant, se cramponnait à Verdun, et cette Place recevait mission du Commandement français de retenir le plus possible de forces ennemies devant elle.
Les combats de détail se multipliaient, où se manifestait la magnifique opiniâtreté du soldat français.
Le 3 juillet, c'était la batterie de
Damloup qui se
trouvait assaillie. Vers
A
Le 4 juillet, c'était vers la cote 321, au nord de Froide-Terre, que nous étions attaqués. Nous repoussions six assauts. Mais Thiaumont retombait aux mains de l'ennemi...
C'était, en ce coin du front, une lutte incessante, effroyablement meurtrière.
Le Kronprinz résolut, le 11, de tenter un dernier assaut. Ne disposant plus de forces considérables, il rétrécit le front d'attaque, borna ses ambitions à la conquête de Souville, qui permettrait, au cas où l'offensive de la Somme serait enrayée, de reprendre les opérations contre Verdun dans de bonnes conditions. Fleury, le bois de Vaux-Chapitre et le Chênois sont de nouveau attaqués.
De Thiaumont à la batterie de Damloup, la lutte est acharnée. Fleury est débordé par le sud, la batterie de Damloup enlevée le lendemain 12 juillet; des éléments prussiens atteignent les fossés de Souville, où ils sont d'ailleurs massacrés.
Le même jour, l'ennemi parvient à la croisée des
routes de
Verdun à Vaux et à Fleury, aux ruines de
C'est la fin de l'effort allemand.
Le dernier soubresaut est resté sans résultat.
Le 27 juin,
à 21 heures, le Commandant est appelé au téléphone ; à 21 h.30, le
Bataillon part pour Belrupt, d’où commence la rude épreuve de la montée
en
ligne pour relever le 26 B.C.P. au bois Fumin.
Le bois Fumin, à la suite des dernières
attaques allemandes, est devenu un profond saillant dans les lignes
ennemies ; à droite, La Laufée, tenue par le 29 B.C.P. en liaison
avec la
batterie de Damloup ; à gauche, le ravin des Fontaines et, très en
retrait, le bois de Vaux-Chapitre, en partie tenu par nos troupes.
La relève est
une des plus pénibles que nous ayons effectuées jusqu’ici. Tout d’abord,
notre
longue colonne traverse nos positions d’artillerie, garnies de plusieurs
lignes
de pièces de tous calibres ; fracas épouvantable, réconfortant
d’ailleurs,
dont le bruit ne cesse pas de nous accompagner.
Ensuite, le
boyau de l’Etang qui est par endroit rempli d’eau, et dans lequel il est
facile
de se perdre tant il y a des ramifications partant vers la droite et
vers la
gauche.
Les guides le
connaissent mal et plusieurs s’égarent.
Enfin, nous
arrivons au Cabaret Rouge à la sortie ouest du tunnel de Tavannes. Là,
le bruit
s’assourdit, mais par contre, bien plus émotionnant, commence celui des
batteries ennemies, que nous ne cesserons plus d’entendre pendant six
jours.
De la batterie
de l’Hôpital au bois Fumin, environ trois kilomètres, il nous faudra
deux
heures pour les parcourir ; la compagnie de mitrailleuse ( C.M.2 ),
qui a
dû quitter ses voiturettes à Belrupt, ne suit que très difficilement.
Elle
devra, d’ailleurs, s’arrêter à la batterie de l’Hôpital, à 2 heures du
matin,
la relève ne pouvant se faire de jour.
Il n’y a plus de
boyaux, les compagnies (3e ,4e et 2e) ont continué
à
suivre l’itinéraire, jalonné de cadavres étendus sur le sol comme une
longue
colonne endormie, qui indique le chemin de première ligne.
Les fusées
éclairantes, qui s’élèvent sans arrêt, permettent seules de voir où l’on
pose
le pied, et cependant à chaque lueur on s’arrête, on se met à
genoux ; la
fusée retombe, on se remet en route; on fait de nouveau quelques mètres,
quand
les obus claquent dans la colonne par un, qui constitue la formation des
compagnies.
Les blessés
tombent, il faut les secourir, prendre le deuxième bidon de 2 litres que
chacun
porte en supplément et qui sera d’une utilité incontestable, prendre
aussi les
munitions qui sont plus nécessaires que partout ailleurs, et, cependant,
il ne
faut pas perdre la liaison avec le camarade qui est devant.
Enfin, il est 3
h.30 quand les compagnies occupent la première ligne.
Le Bataillon est
en liaison à gauche avec le 7e R.I., à droite avec le 29 B.C.P
Pendant la
relève, le Bataillon a eu 3 tués et 18 blessés.
En arrivant au
bois Fumin, les unités ont la bonne fortune de trouver une tranchée de
première
ligne récemment creusée et constituant déjà un abri sérieux ; les
chasseurs se promettent bien de l’arranger de leur mieux
La
1re compagnie reste en réserve à découvert sur les pentes
sud, très
près des premières lignes, mais non vue des
observateurs ennemis.
La 5e
et 6e et C.M.1 restent en deuxième ligne, dans la région de
la
batterie de l’Hôpital, sous le commandement du capitaine adjudant-major
L’
Helgouach.
Contrairement à
notre attente, nous avons passé la période la plus dangereuse.
En effet, le
saillant que nous occupons entre si profondément dans leurs lignes, que
les A llemands
ne peuvent pas le bombarder. Par contre, des
tirs
fréquents et violents d’obus de gros calibres, forment une barrière
infranchissable à hauteur d’un abri en béton où sont le P.C. du
Commandant et
le poste de secours, et dans le ravin au sud et près de la 1re
compagnie.
Malgré ce déluge
d’obus qui s’abat sur notre zone pendant six jours, les pertes sont
relativement faibles ; les chasseurs font bonne garde, les
patrouilles
sont actives. Au cours de l’une d’elles est tué un des plus enragés
patrouilleurs du Bataillon, le chasseur Rumeur, de la 2e
compagnie.
Les communications
avec l’arrière sont impossibles de jour, très difficiles la nuit.
Cela n’empêche
pas nos patrouilleurs d’apporter chaque nuit en ligne
l’indispensable : du
pain et des liquides, aux prix d’un courage et d’une endurance, d’une
conscience professionnelle qui ne seront jamais trop estimées. Mais que
penser
du chasseur Noble, de la popote de l’état-major du Bataillon, laissé à
Houdainville, qui seul, dans la nuit du 29 juin, monte en ligne par le
sinistre
itinéraire où la mort vous guette à chaque pas, pour apporter au
Commandant, en
l’honneur de la saint Paul, un magnifique bouquet avec ruban tricolore.
Comment
ne pas être ému devant de pareils actes d’affection.
Hélas !
Noble a été tué plus tard au Chemin des Dames, et son souvenir est
particulièrement, cher à ceux qui ont vécu avec lui.
L’aspect du
terrain est on ne peut plus chaotique.
Le bois Fumin ne
se révèle que par la présence de quelques troncs déchiquetés. Entre la
première
ligne et la ligne intermédiaire, s’étend un large espace de 1 kilomètre
de
profondeur, où il n’y a aucune troupe, et où aucune troupe ne peut se
déplacer
de jour. Les seules communications avec l’arrière sont les pigeons
voyageurs et
les coureurs qui mettent plus d’une heure pour arriver à la brigade.
La liaison du
P.C. du Commandant aux compagnies en première ligne n’est pas plus
aisée.
Outre que l’on
est vu des tirailleurs ennemis, qui saluent de quelques coups de fusils
l’agent
de liaison qui s’avance, il n’y a la nuit que certains points de
repères, pris
le jour, pour vous mener à la tranchée de première ligne. Dès la sortie
du
P.C., les quelques mètres de boyau qui mènent à la première ligne
cessent dès
que le talus de terre, qui recouvre l’abri de béton, est franchi.
Le piétinement
des coureurs a confectionné une sorte de piste, chemin de terre
serpentant
autour des trous d’obus, qui devient
invisible la nuit parce qu’il n’est pas assez tassé.
Cette piste est
coupée en deux, à 100 mètres de la première ligne, par un corps allemand
à demi
recouvert de terre, sur lequel il faut obligatoirement passer pour avoir
la
certitude que l’on est dans le bon chemin. Point de repère macabre,
c’est vrai,
et pourtant sans lui, il est facile de porter les ordres chez…les
Allemands !
Le 2 juillet,
l’activité des deux artilleries est intense toute la journée.
A 14 h.15, un
monoplan allemand et un Nieuport français se mitraillent au-dessus de
nos
lignes. Tous deux sont frappés à mort et tombent à quelques mètres de
notre
première ligne, le monoplan allemand à une dizaine de mètres de la
tranchée de
la 3e compagnie. Dès la tombée de la nuit, une patrouille de
cette
compagnie va retirer le corps de l’aviateur français qui est transporté à
l’arrière, et le corps de l’aviateur allemand, lieutenant Neuhaus, est
enterré
près du P.C.
Au cours de la
nuit, le caporal Giroux, 3e compagnie, va seul reconnaître la
tranchée allemande vis-à-vis du boyau de l’Etang. Il enlève deux pattes
d’épaule d’une tunique d’un allemand qui travaille dans la tranchée
(pattes
d’épaules du 43e R.I.)
Pendant le
bombardement incessant de la journée, le sous-lieutenant Lecourtier est
tué ; le caporal Durieux de la 1re compagnie, en
patrouille
vers Fleury, est grièvement blessé ; les chasseurs Marcoux (Louis),
2e
compagnie, Dumont (Paul), 5e compagnie, Néel (Jules), de la 2e
compagnie, sont si grièvement atteints que la Médaille militaire leur
était
remise sur leur lit d’hôpital.
Le 4 juillet,
les troupes de relève arrivent, le 370e R.I.
nous remplace ; en vitesse on repart, sauf une arrière-garde,
composée du
Commandant et d’un officier par compagnie, accompagnés chacun d’un
chasseur
dévoué, qui reste une journée de plus et qui partira en plein jour, de
son
plein gré, malgré les obus de 77 généreusement lancés de la crête
d’Hardaumont.
Pendant ce
séjour en ligne, le Bataillon avait perdu : 21 sous-officiers,
caporaux et
chasseurs tués, 76 blessés.
Les 5e,
6e et C.M.1, qui étaient restées à la batterie de l’Hôpital
en
réserve, relèvent, dans la nuit du 4 au 5 juillet, un bataillon du 172e
R.I., dans
le secteur de Damloup.
Cette relève
s’effectue sans trop de pertes, malgré de violents tirs de barrage
allemands.
Pendant la
journée du 5
juillet,
nos trois compagnies ne subissent aucune attaque, et n’en effectuent
aucune.
Mais ce secteur
de Damloup est très nerveux, les Allemands arrosent continuellement la
première
ligne, et c’est dans un véritable déluge de fer et de feu, que les
chasseurs
doivent se maintenir et conserver intact le terrain qui leur est confié.
Ils ne
failliront pas à leur tâche.
Cette journée du
5 sera leur calvaire, car il ne faut pas faire un mouvement, sous peine
de
déclencher un violent bombardement ; chaque heure qui s’écoule voit
de
nombreux blessés à évacuer.
Aussi, le soir
du 5 juillet, lorsque le capitaine L’Helgouach, qui commande ces unités,
annonce la relève pour la nuit même du bataillon du 22 R.I., on devine non sans
peine avec quel
enthousiasme muet cette bonne nouvelle est accueillie, et le 6 juillet
au
matin, tout le Bataillon cette fois est rassemblé à Haudainville où il
se
nettoie et se repose.
Les 5e, 6e compagnies et C.M.1 avaient perdu, en vingt-quatre heures, 12 tués et 50 blessés.
Les 7, 8 et 9
juillet, le
Bataillon se repose, et il en a bien besoin, car chez
tous la fatigue est réelle, et cependant on est étonné d’en être sorti à si bon compte.
On a peine à
croire que le Bataillon est prêt à s’embarquer pour l’arrière.
Cependant, la
division s’est embarqué aujourd’hui le 10 juillet, le 25e est
le
dernier à partir ; le 29e B.C.P. , qui cantonne
près de
nous, vient de quitter le cantonnement.
L’ordre de
départ pour le Bataillon vient d’arriver, il n’y a plus qu’à mettre sac
au dos.
Un grondement sinistre nous parvient aux oreilles, tirs préparateurs
d’attaque.
Nous connaissons leur facture.
Le départ du
Bataillon est subitement retardé de vint-quatre heures. Finalement, au
lieu de
partir vers l’arrière, le
11 juillet à 6 h. 30, le Bataillon est alerté.
Les chasseurs
reçoivent de nouveau le bidon supplémentaire de 2 litres et 200
cartouches par
homme.
Comme nous
sommes loin du grand repos !
A 22 h. 30, le
Commandant se rend près de Général commandant le secteur de
Tavannes, alors que le capitaine L’Helgouhach
guide le Bataillon vers le P.C. Creil
( Cabaret Ferme )
Les Allemands
ont attaqué sur le secteur Fleury-Souville ; le bruit court qu’ils
auraient atteint le fort de Souville.
Le Bataillon est
dirigé ensuite sur le tunnel de Tavannes, où il s’entasse dans une
atmosphère
de misère antihygiénique. Cette position de réserve pourrait donner lieu
à une
longue description pour dépeindre l’aspect de cette caserne souterraine.
La puanteur du
lieu, la vermine qui trouvait là une pâture sans cesse renouvelée, en
rendaient
le séjour certainement pénible, alors que l’on ressentait une impression
totale
de sécurité, car, en effet, les obus ne parviendraient jamais à percer
l’épaisse couche de terre qui recouvrait cette voûte. Et cependant, cet
abri à
toute épreuve devait être le lieu d’une catastrophe terrifiante.
Dans la nuit du 4
au 5 septembre 1916, un incendie se déclarait dans le tunnel de
Tavannes.
Le sinistre prit
en quelques instants une extension considérable. Tout le matériel
accumulé
entre la sortie ouest du tunnel et la cheminée centrale fut détruite.
Le colonel
Florentin, commandant la 146e brigade d’infanterie, une
dizaine
d’officiers et plus de 700 hommes furent portés disparus.
Mais revenons au
11 juillet. Les 1re, 2e, 3e, 5e, 6e et la C.M.2
entrent
dans le tunnel ; la 4e compagnie est détachée, en
couverture du
Bataillon, à la batterie de l’Hôpital. Les nouvelles des lignes sont
mauvaises,
l’attaque des Allemands continue. Le 12, le Bataillon va certainement
intervenir pour rétablir la situation. C’est d’ailleurs l’impression du
Commandant.
En effet, le 12 juillet à 8 heures,
la Bataillon reçoit l’ordre de débloquer le fort de Souville, en partie
entouré
par l’ennemi qui jette toutes ses forces dans le dernier jour de ce rude
combat.
Si Souville est
pris, Verdun sera dominé et résistera difficilement.
Le Bataillon,
sous un déluge de fer, va progresser en terrain découvert d’une façon
magnifique. Quiconque a effectué cette montée vers le fort de Souville a encore présent à l’esprit l’héroïque ascension,
et le
mépris avec lequel les obus étaient
accueillis.
Là, il n’y a
plus ni tranchées, ni boyaux ; le sol est nivelé, ou plutôt il est
labouré
d’une succession de trous d’une profondeur inaccoutumée. Dans le fond
des
ravins, les 210 arrivent avec une ponctualité remarquable. Les unités
qui
voudraient utiliser pareils cheminements seraient impitoyablement
broyées.
Tous les
chasseurs le comprennent ; sur le plateau, l’ennemi vous voit et
vous
arrose avec les 105 fusants. Ces difficultés ne sont ignorées de
personnes, pas
plus d’ailleurs que la mission importante qui nous est confiée.
En colonne par
un, malgré les obus, petits et gros, le Bataillon sort du tunnel et
gravit
l’escalier de la sortie ouest, la 5e compagnie se déploie en
avant-garde, la 4e, partie de la batterie de l’Hôpital, est
en
flanc-garde, les autres unités suivent en formation largement
échelonnées, et
dans le plus grand ordre.
Chaque chef, y
compris les caporaux d’escouades font
utiliser le
terrain au maximum.
Ainsi
l’instruction donnée pendant les périodes de repos trouve son
application, et,
malgré les bombardements ennemis, le combat s’engage à notre complet
avantage,
ne nous faisant éprouver que des pertes que nous qualifions de légères.
Et pourtant, que
de souffrances ! Les obus tombent drus à droite à gauche, devant,
derrière.
Cela éclate, dans un bruit d’enfer. Il semble que la terre tremble
toute, elle
vole alentour, retombe en une sorte de pluie fine sur les casques. Les
éclats
sifflent, les culots bourdonnent dans l’air et s’aplatissent avec un
plouf
impressionnants. Mais cela tombe tellement, le bruit est d’une telle
intensité,
ce tonnerre d’explosion est à ce point intense que tous les yeux sont
fixés sur
un seul but…
LE FORT !
On marche, on
progresse, on avance…
Le fort est
atteint.
Les Allemands du
145e poméranien qui garnissaient les anciens fossés du fort
sont
pris, ou mis hors de combat.
Les 5e,
6e, et C.M.1 entrent dans le fort, la C.M. en garnit la
superstructure de deux sections de mitrailleuses, elle y rencontre un
petit
détachement du 7e R.I. commandé par un capitaine.
A la 2e
compagnie, le lieutenant Leloup, commandant la compagnie, et le
lieutenant
Braive, qui l’avait remplacé en tête de la compagnie, ont été
successivement
blessés ; les éléments de cette unité arrivent cependant au fort,
où elle
se reforme sous les ordres du lieutenant Authier.
Le Commandant
arrive à son tour, il repartit immédiatement ses unités, l’abri de
bombardement
ne peut contenir tout le monde.
La
3e et la C.M.2 sont dirigés
sur la batterie est de Souville, ainsi que la 4e
compagnie,
qui s’installe.
La section Nalis
dans la batterie face au nord-est, et la section Burnier face au nord.
Ce groupement de
compagnies est placé sous les ordres du capitaine L’Helgouach.
Le lieutenant
Burnier détache une patrouille qui a pour mission de fouiller les abris
et les
fossés qui sont au nord du fort. Cette patrouille, quelques minutes
après son
départ, prévient le lieutenant Burnier qu’un abri est encore occupé par
des
ennemis. Malgré une blessure, Burnier rejoint sa patrouille avec quatre
hommes.
Le caporal
Nayrolles, chef de patrouille, blesse d’un coup de feu un Allemand qui
tente de
sortir, les autres ennemis effrayés crient « camarades » et se
rendent.
Ils sont au nombre de 18 et appartiennent au 140e R.I. Ils
ont avec
eux un blessés français du 14e R.I.
A 14 heures, la
3e compagnie, venant du fort se met à la disposition du
lieutenant
Charles, commandant la 4e compagnie, avec la mission de
prolonger la
4e à gauche, et de rechercher la liaison sur sa gauche tout
en
nettoyant les abords immédiats du fort.
La situation est
nettement embrouillée.
La première
ligne paraît ne plus exister, la liaison n’est plus assurée entre les
éléments
des divers corps qui occupent la deuxième ligne ou
ligne intermédiaire. Le Commandant continue à se couvrir comme s’il
était isolé
et envoie des patrouilles de reconnaissance et de liaison.
Peu à peu, les
renseignements arrivent.
Deux officiers
du 17 R.I. donnent quelques précisions. La situation devient plus
rassurante.
L’ennemi a
réussi à bousculer notre ligne au sud de Fleury et vers la
Chapelle-Sainte-Fine, d’où il a atteint les fossés du fort de Souville,
mais sans obtenir aucun succès vers
Vaux-Chapitre et Fumin.
La 3e
compagnie s’est déployée et prolonge à gauche la 4e. La
section
Donnot combat un groupe d’Allemand, en mettant une dizaine hors combat,
et
faisant six prisonniers. La section Deleuze rencontre un groupe plus
faible et
lui fait quatre prisonniers ; elle obtient la liaison avec les
éléments du
14e R.I.
Enfin, à 19
heures, non seulement notre ligne tient, mais elle avance dans la
direction de
la Chapelle-Sainte-Fine, pour aider les unités d’aile des deux divisions
occupant ce secteur et faire la liaison entre elles.
Le chasseur
Cousaert, de la 4e compagnie, continue une patrouille à son
compte
jusqu’à la Chapelle et ramène deux sentinelles allemandes auxquelles il
fait
rapporter un blessé français trouvé à 300 mètres en avant de nos lignes.
Ceux qui
pénètrent dans le fort furent saisis par un spectacle tragique. Rien que
des
hommes étendus, pas de bruit, pas de paroles ; en progressant dans
les
couloirs à peine éclairés, une odeur pénétrante, asphyxiante, vous
oppresse et
vous fait reculer de plusieurs pas. Un ventilateur est trouvé, que
personne
n’actionnait plus ; les chasseurs le font marcher, puis on
interroge
quelques hommes de la garnison ; la réponse est tragique ;
presque
tous les occupants sont morts asphyxiés par les gaz allemands, provenant
surtout de l’éclatement des obus de très gros calibres, et filtrant à
travers
les interstices du béton. Peu de survivants, la plupart seront évacués
le soir
même finiront à l’hôpital.
Les
communications avec l’arrière sont à peu près assurées. Les nouvelles
parviennent, mais, tristesse, c’est surtout l’ambulance 19/6 de Dugny,
qui
demande des renseignements sur les grands blessés qui lui sont confiés
et à
qui, suprême consolation, la Médaille militaire sera remise avant la
mort : Berthelot, 5e compagnie ; Nadal, 6e
compagnie, Bruyère, 5e compagnie, Bourlet, 1re
C.M. ; Dumontel, 3e compagnie, échapperont à la mort, le
corps
affreusement mutilé.
Puis la
situation se calme brusquement, comme après chaque grand combat.
Les journées des
13 et 14
juillet se
passent sans nouvelles attaques, les troupes en secteur mettent à profit
ce
répit pour se réorganiser et nous libérer.
Dans ce charnier
de Verdun, nous laissions 20 tués et 96 blessés dans la défense du fort
de
Souville ; parmi les tués, le capitaine Lombard, tombé pendant la
progression. Le lieutenant d’Harlingues, des pionniers, n’avait pas
encore mis
le pied sur la dernière marche de l’escalier du tunnel de Tavannes qu’un
gros
éclat de 105 le frappe en plein ventre. Transporté à Verdun, il y mourra
en
arrivant. Brave d’Harlingues, si gai, toujours souriant, toujours prêt à
rendre
service. Il y a de ces pertes cruelles, qui se font d’autant plus
douloureusement sentir, qu’elles sont soudaines.
Les chasseurs de
la 1re compagnie eux aussi perdaient ce jour-là un chef aimé
et
respecté, le lieutenant Allard, brave officier, calme, réservé, quel
brave cœur !
Enfin, dans la nuit du 14 juillet au 15 juillet,
en route pour Haudainville. Juste à ce moment les deux artilleries se
mettent à
tirer à tout allure, ce qui rend la descente extrêmement pénible.
Partout des
cadavres. Le faubourg Pavé est encombré par les débris d’un convoi de
ravitaillement qui vient d’être marmité. On passe quand même. On
dort !
Ce
magnifique combat valut au
Bataillon une nouvelle citation :
« Le Général commandant le 6e C.A., cite à l’ordre du C.A. le 25e bataillon de « chasseurs.
« A avoir tenu plusieurs jours un secteur des plus pénibles, a été rappelé le 12 juillet « 1916 en première ligne, sous les ordres de commandant Cabotte, pour contenir une forte « attaque allemande qui menaçait l’un des forts les plus importants de la place. A exécuté en « plein jour, sous un barrage intense, avec un entrain superbe et une habilité parfaite, une « manœuvre des plus délicates, et a réussi à arrêter la progression de l’ennemi.
« Signé : Général Paulinier. »