Le 114e Bataillon de Chasseurs Alpins est formé le 10 mars 1915 à Pérouges, dans l’Ain...Il fait partie de la 5e brigade de chasseurs...
En juillet, le bataillon occupe les tranchées du secteur du Wettstein,près du Lac Noir, dans les Vosges.
Le 21 juillet 1915, il reçoit l’ordre d’attaquer le Barrenkopf.
Le bataillon monte à l’assaut, il est littéralement décimé ; le bataillon doit se replier sur ses positions de départ...
Bilan : 13 officiers, 442 sous-officiers et chasseurs tués.
Le 114e
Bataillon de Chasseurs Alpins, créé en avril 1915, était formé en
majorité de jeunes ruraux de la classe 15, originaires de Savoie, du
Dauphiné et de la région lyonnaise.
Dans le cadre de la nouvelle 129e Division d’Infanterie le 114e fut d’abord affecté à la 5e Brigade de Chasseurs avec le 115e BCA, le 106e , le 120e et le 121e BCP.
A peu près comme les autres bataillons de cette brigade il comptait
alors 19 officiers et 1665 hommes répartis en 6 compagnies, dont deux
compagnies de mitrailleuses. Un équipage de voitures suivait avec 162
chevaux et mulets.
La division embarquait le 15 Juin par la route pour Gérardmer. A la
mi-juillet, elle faisait mouvement vers les lacs Noir et Blanc.
Le 114e était au Lac Noir le 21 Juillet et allait subir le lendemain son baptême du feu : l’attaque désastreuse du Barrenkopf.
Le Barrenkopf
A 8h30 le 114e quitte par
escouades le Lac Noir pour le camp de Müllenwald, en colonne par un, à
15 pas de distance, sur l’unique chemin, sous des camouflages de
verdure.
Une canonnade ennemie cause un mort dans la 6e compagnie et quelques blessés. Au Müllenwald les unités bivouaquent en arrière du 120e, déjà en place.
A 10h le Général emmène le Commandant Riet, chef du bataillon, au col de Wettstein avec le Commandant du 106e et leur communique les instructions de l’attaque depuis l’observatoire du Hurlin : le 114e attaquera un blockhaus sur une zone déboisée, dite le « cran de mire », du Barrenkopf, et le 106e le Schratzmännele.
L’objectif final du 114e, face au sud-est, est délimité par l’éperon 833 et le col entre Barrenkopf et Kleinkopf.
L’attaque, fixée d’abord à 14h est repoussée au lendemain.
Profitant de ce répit le Cdt Riet réunit à 16h les commandants de
compagnies pour leur fixer les ordres de l’attaque, mais uniquement de
manière verbale afin qu’aucun document écrit ne puisse tomber aux mains
de l’ennemi : Les 1re et 2e compagnies prendront place dans le parallèle de départ, puis, à droite et à gauche les 3e et 4e , et enfin, dans les boyaux 1 et 2 les 5e et 6e.
L’attaque se fera en 3 lignes de 2 compagnies se suivant le plus près possible . La 1re
ligne devra « courir après nos obus » sans attendre la fin de notre
préparation d’artillerie. Les tranchées ennemies seront considérées
comme « obstacles » à dépasser et non comme « buts ».
La 1re ligne enlèvera le blockhaus
du Cran de Mire, franchira la crête et s’arrêtera au dessus du chemin
de Hohrod à Notre Dame des 3 Epis. Elle se retranchera de manière à
battre les pentes vers le Sud Est, chaque unité couvrant son flanc
jusqu’à l’arrivée de la 2e ligne.
La 2e ligne, quant à elle, suivra la 1re d’aussi près que possible, la 3e compagnie s’établissant face au sud entre Barrenkopf et Kleinkopf, la 4e
face au Nord Est sur la pente N du Barrenkopf, tandis que deux sections
effectueront le nettoyage des tranchées ennemies au revolver.
Enfin, la 3e ligne s’engagera dès l’attaque dans le boyau unique et débouchera dans les boyaux N°1 et N°2.
La 6e compagnie se dirigera ensuite sur la gauche et occupera l’éperon 833 en liaison, à gauche avec le 106e
, qui devra tenir le Bärenstall. Le poste de commandement sera situé au
sommet du Barrenkopf et devra être immédiatement relié par téléphone au
parallèle de départ.
Le Cdt Riet se rend ensuite dans les tranchées avec ses chefs
d’unités : c’est pour constater leur très mauvais état du fait des
canonnades ennemies, en particulier surtout le boyau unique. Par suite
du terrain sablonneux, elles n’offrent qu’un abri précaire et sont
encombrées de cadavres horriblement mutilés et dégageant une odeur
pestilentielle. Aucun étayage intérieur n’existe, aucune chicane n’a
été pratiquée pour empêcher les tirs d’enfilade, en particulier sur le
boyau unique, perpendiculaire à la ligne ennemie et dont la partie
descendante est dangereusement exposée. De plus la section de ce boyau
est insuffisante pour permettre le passage rapide des colonnes
d’assaut : en un mot, constate le Cdt Riet, on est loin d’avoir réalisé
les instructions de l’Etat-Major pour l’aménagement de ces tranchées.
A la suite de cette visite et malgré ses très mauvaises impressions, le Cdt Riet confirme toutefois ses ordres précédents.
Mais dès 17h il fait part au Général de Brigade des nombreuses
observations négatives faites au cours de sa visite. L’assurance lui
est alors donnée qu’une équipe de travailleurs procédera dans la nuit à
l’enlèvement des cadavres et à la remise en état des parapets éboulés.
L’attaque est fixée à 10h30 le lendemain.
22 juillet 1915 : l’assaut
La mise en place commence à 2h20. Sur les instructions du Général de Brigade le peloton de mitrailleuses suivra la 3e ligne et non la 2e comme prévu.
4h : la préparation d’artillerie commence et déclenche une riposte
ennemie, très précise, guidée par l’aviation. Une vingtaine de blessés
en résulte, dont le lieutenant Brun de la 4èmecompagnie.
Leur évacuation est arrêtée à 9h45, pour ne pas retarder l’attaque.
10h30 : au départ de celle-ci, les 1re et 2e lignes progressent comme prévu. La 2e
tranchée ennemie de mi-pente est évacuée par ses occupants et franchie
ainsi que celle de crête. Durant l’ascension les unités de la 4e compagnie sont prises à partie sur leur gauche par un feu de mitrailleuses depuis le Schratzmännele.
11h30 : le capitaine Combes est tué. La crête est balayée par des
feux croisés de mitrailleuses allemandes et battue par des obus. Aussi
la progression des 2 lignes se rabat-elle sur les pentes face à l’est,
qui offrent un relatif angle mort.
Progressant derrière la 2e ligne,
le Cdt Riet bute dans le boyau unique sur le peloton de mitrailleuses,
arrêté par un cratère d’obus. Il emmène avec lui le matériel léger et
les hommes disponibles en ne laissant sur place que le personnel
strictement nécessaire au dégagement des pièces ensablées.
Arrivé sur la crête il prend, avec déplaisir, la mesure de la situation : La 1re ligne, bien que décimée par les tirs croisés de mitrailleuses, a atteint ses objectifs, mais la 2e, qui l’a suivie, se confond avec elle et augmente dangereusement sa densité face aux tirs ennemis.
A droite et au sud du Barrenkopf l’ennemi esquisse une contre-attaque. A gauche, seules 2 ou 3 sections du 106e ont atteint le Cran de Mire et font face au Schratzmännele. Le reste est couché par grappes en avant du parallèle de départ.
Aucune troupe amie ne couronne le Lingekopf. En arrière, ni les mitrailleuses, ni la 3e ligne n’ont pu déboucher du parallèle de départ, retardées par les éboulements dus à l’intensité du bombardement.
Le Cdt Riet décide alors de laisser seulement la 2e compagnie face au chemin Hohrod-Bärenstall, de renforcer la 3e compagnie par la 1re face au sud pour contrer la contre-attaque ennemie en la replaçant face à cette contre-attaque, d’appuyer avec la 4e compagnie les unités du 106e
parvenues sur la crête pour chercher à prendre à revers les
mitrailleuses ennemies du Schratzmännele, et enfin d’appeler au plus
vite la 3e ligne et les mitrailleuses.
Le désastre
Vers 11h45 aussitôt après ces instructions, le Cdt Riet se rend en
catastrophe vers la droite, au Barrenkopf, où il trouve le capitaine
Berger de la 3e compagnie s’efforçant de rallier et d’installer sa compagnie sous un feu croisé intense.
Le commandant, bientôt blessé à l’avant bras gauche, installe faute
de mieux son PC dans une baraque de troncs d’arbres, sur un endroit
très exposé, d’où il communique ses instructions de combat à son
adjoint le lieutenant Jurain qui, à son tour, tombe, mortellement
blessé vers 12h : en quelques minutes ses agents de liaison vont, un à
un subir le même sort.
A cette heure, la 1re ligne, dépourvue d’officiers, se replie sur la crête du Barrenkopf ainsi que la 2e ligne. Toutes deux sont décimées.
La 3e ligne, qui a réussi à sortir
du parallèle avec plus d’une demi-heure de retard, est prise dans le
mouvement de repli vers 12h30, sous le feu des mitrailleuses du Linge
et du Kleinkopf.
A 13h30 il ne reste plus sur la crête du Barrenkopf qu’une centaine
d’hommes (dont une trentaine de blessés) de toutes les compagnies avec
les capitaines Bosc et Berger qui se maintiendront dans la tranchée
allemande jusqu’au soir.
A 14h, malgré cet échec, une nouvelle attaque est décidée pour 18h
avec pour objectifs la route du Hohnack et la carrière sud du
Schratzmännele.
18h30 Par suite de l’encombrement des boyaux cette attaque part avec une ½ heure de retard. La 1re
ligne dépasse la ferme Combes mais, balayée par les mitrailleuses des
blockhaus de la route du Hohnack, elle doit se jeter dans le bois, tout
en subissant des pertes sévères. Il apparaît très vite qu’aucune
progression ne pourra se faire. Aussi l’ordre est-il annulé.
Ce n’est que vers 20h que, menacés d’enveloppement, Bosc et Berger
réussiront à se replier du Barrenkopf avec tous leurs blessés.
Le Cdt Riet, fait prisonnier, envoie en octobre, par l’intermédiaire
d’un grand blessé rapatrié, un rapport sur ces engagements qui, très
critique à l’égard de l’inorganisation dans laquelle ont été engagées
les opérations, montre à quel point l’ensemble de notre hiérarchie
militaire était déphasée par rapport à la guerre qu’elle conduisait.
La conclusion de ce rapport est la suivante :
1) Nécessité d’aménager les tranchées de manière à assurer le départ des échelons sans arrêt, ni interruption.
2) Nécessité de profiter pour la marche du tir de notre artillerie et de sa protection : « courir après les obus ».
3)
Indiquer à l’avance à chaque unité,et à chaque homme, sa mission et,
s’il y a lieu, sa place. Après avoir débouché en formation dense, se
disloquer, éclater en formations minces pour la manœuvre.
4)
La ligne de combat proprement dite ne commence que sur la position
conquise. Pour y organiser rapidement un obstacle, le fil de fer
barbelé Brun semble bien préférable à tout autre.
5) Nécessité d’avoir des réserves pour parer à toute éventualité et boucher les trous.
6)
Si tout n’est pas prévu et organisé ainsi à l’avance la troupe présente
sur la position conquise dans un désordre analogue à celui qui suit
l’assaut. La confusion des unités, sans parler des pertes en chefs,
rend toute manœuvre difficile et offre à l’ennemi des objectifs dense
et vulnérables qui fondent sous le feu adverse.
Ce 22 Juillet aura coûté :
694 tués et disparus au 106e
663 tués et disparus au 114e
126 tués et disparus au 120e
soit 50% des effectifs engagés dans l’attaque.
Les 2 premières unités, décimées, sont placées en réserve pour se reconstituer, le 114e au Lac Noir et le 106e au camp Ste Barbe.
26 juillet : l’acharnement
A la suite de cet échec cinglant, on engage pourtant le 115e, le 120e et le 121e avec le 15e BCA à l’attaque du Schratzmännele.
C’est un nouvel échec qui fait 491 morts et disparus.
Le 29 juillet, on envoie alors les mêmes à l’attaque de la Hütte, un désastre qui va coûter 650 nouvelles pertes à ces unités.
Le 1er août, une nouvelle attaque des 12e, 15e, 27e et 115e bataillon fera 350 tués pour gagner une cinquantaine de mètres !